26/04/2012

Pour bien vieillir, ne regrettez rien

Article d'Isabelle, pour Techno-Science.net

L'une des clés pour bien vieillir du point de vue émotionnel est de ne pas faire cas de regrets pour des occasions ratées indique une nouvelle étude. Lorsqu'on est jeune, un regret peut aider à prendre de meilleures décisions par la suite. Les possibilités de nouvelles opportunités se réduisant avec l'âge, y penser perd probablement son intérêt. 

Pour trouver une base physiologique à cela, Stefanie Brassen et ses collègues en Allemagne ont utilisé l'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle, ou IRMf, pour comparer l'activité cérébrale de trois catégories de personnes, de jeunes adultes et des adultes plus âgés déprimés ou en bonne santé. En jouant à un jeu sur l'ordinateur, les volontaires ouvraient des séries de boîtes contenant soit de l'argent soit le dessin d'un diablotin qui causait la fin de l'exercice et entraînait la perte de tout l'argent gagné jusqu'à ce moment-là. Après avoir ouvert la boîte, les joueurs pouvaient décider de continuer ou de s'arrêter avec leurs gains. A la fin de l'expérience, toutes les boîtes étaient ouvertes, révélant aux joueurs jusqu'où ils auraient pu continuer sans perdre.

En découvrant qu'ils avaient raté des occasions d'obtenir plus d'argent, les jeunes adultes et les plus âgés déprimés ont pris ensuite plus de risques. Les autres adultes n'ont en revanche pas vraiment changé de comportement. De même, l'activité dans deux régions du cerveau l'une appelée striatum ventral qui intervient dans le sentiment du regret et l'autre associée à la régulation des émotions, le cortex cingulaire antérieur, était comparable entre les adultes jeunes et plus âgés déprimés. Ces deux dernières catégories voyaient aussi la conductivité de la peau et leur battement cardiaque augmenter lorsqu'elles découvraient les occasions manquées, contrairement aux adultes plus âgés non déprimés. 

Brassen et ses collègues avancent que ces derniers ont des stratégies mentales utiles, comme de se rappeler que l'issue du test dépend de la chance, alors que les adultes déprimés peuvent se reprocher leur résultat. Les auteurs spéculent même que former les gens à utiliser ces stratégies mentales pourrait les aider à préserver leur santé émotionnelle avec l'âge.

Référence:
"Don't Look Back in Anger! Responsiveness to Missed Chances in Successful and Nonsuccessful Aging" par S. Brassen, M. Gamer, J. Peters, S. Gluth et C. Büchel de l'University Medical Center Hamburg-Eppendorf à Hambourg, Allemagne. Science 20 avril 2012, article n°21.

24/04/2012

Les manchots empereurs recensés depuis l'espace

Les manchots empereurs recensés depuis l'espace


Un recensement à partir d'images prises par satellites a estimé à près de 600 000 le nombre de manchots empereurs. Il s'agit du premier recensement d'une espèce effectué depuis l'espace.
Guillaume Jacquemont pour Pour la Science
© British Antarctic Survey
© British Antarctic Survey
Les manchots empereurs sortent de l’eau pour pondre et couver. Ils se regroupent alors en grandes colonies, bien visibles sur la glace.

À voir aussi

© DigitalGlobe
© DigitalGlobe
Sur cette vue obtenue par satellite, les manchots apparaissent en noir et le guano en marron.

Pour en savoir plus

L'auteur

Guillaume Jacquemont est journaliste à Pour la Science.
Les manchots empereurs sont plus nombreux qu'on ne le croyait. C'est ce qu'indique le recensement effectué à partir d'images satellitaires par Peter Fretwell, du British Antarctic Survey, et ses collègues : les oiseaux adultes seraient près de 600 000, contre entre 270 000 et 350 000 selon les estimations précédentes.

Les manchots empereurs, qui vivent dans l'océan, en sortent plusieurs mois par an pour pondre et couver. Ils forment alors de grandes colonies sur les étendues blanches de l'Antarctique, où leur plumage noir se distingue facilement. Les colonies ont d'abord été repérées sur des images satellitaires de moyenne définition, avant d'être photographiées en haute résolution. Diverses méthodes de traitement d'images (visant par exemple à augmenter les contrastes) ont notamment permis de les distinguer de leurs trainées de guano.

Les scientifiques ont ensuite estimé le nombre d'individus dans chaque colonie grâce à une relation liant ce nombre à la surface occupée par les manchots ; cette relation a été établie à partir de colonies pour lesquelles on disposait à la fois d'images par satellite et de comptages directs. Enfin, ils ont appliqué des corrections pour prendre en compte les oiseaux absents, tels les individus trop jeunes pour se reproduire et les femelles parties en mer pour chercher de la nourriture pendant que les mâles gardaient les œufs.

C'est le premier recensement d'une espèce effectué depuis l'espace. Cette méthode devrait permettre de suivre l'évolution du nombre de manchots. Une information utile à l'heure où ces oiseaux, très dépendants de la glace, sont menacés par le réchauffement climatique : en Terre Adélie, ils risquent de s'éteindre presque totalement d'ici un siècle, selon une étude franco-américaine fondée sur les prévisions du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) et menée par Stéphanie Jenouvrier, du Centre d'études biologiques de Chizé, et ses collègues. À l'échelle globale, les estimations sont difficiles – notamment parce que des zones refuges seront peut-être préservées –, mais la menace est sérieuse… 

20/04/2012

Les insectes sont capables d'élaborer des concepts abstraits


Communiqué de presse CNRS 


Paris, 20 avril 2012


Le cerveau des insectes est capable de fabriquer et de manipuler des concepts(1) abstraits. Il peut même utiliser simultanément deux concepts différents afin de prendre une décision face à une situation nouvelle. Ce résultat totalement inattendu a été obtenu par l'équipe du professeur Martin Giurfa au centre de recherches sur la cognition animale (CNRS/Université Toulouse III - Paul Sabatier)(2). Cette capacité, que l'on croyait propre aux humains et à quelques primates, montre que des analyses cognitives sophistiquées sont possibles en l'absence de langage et malgré une architecture neurale miniaturisée. Ces travaux, publiés dans la revue PNAS, remettent en cause de nombreuses théories dans des domaines tels que la cognition animale, la psychologie humaine, les neurosciences et l'intelligence artificielle.

La cognition humaine, et notamment nos capacités mathématiques et linguistiques, se base sur notre capacité à manipuler des concepts"? Dans la vie de tous les jours, les concepts qui relient des objets distincts par des règles de relation de type « même », « différent », « plus que », « au-dessus de », prennent une place prépondérante. Par exemple, l'automobiliste est guidé par un réseau complexe de concepts : codes couleur, flèches, panneaux... L'utilisation de tels concepts, que l'on a souvent crue propre à l'homme et à quelques primates, pourrait être en fait beaucoup plus répandue dans le règne animal.

Les chercheurs ont en effet montré que les abeilles sont capables de générer puis de manipuler des concepts afin d'accéder à une source de nourriture. Pour cela, ils ont pris un groupe d'abeilles qu'ils ont entraîné à pénétrer dans une enceinte, afin de récolter de la solution sucrée. Dans cette enceinte, les abeilles rencontraient deux stimuli placés chacun sur une cloison. Chaque stimulus était composé de deux images distinctes soit l'une au-dessus de l'autre (voir photo ci-dessous), soit l'une à côté de l'autre. Au milieu de ces paires d'objets était placé un orifice délivrant, soit une récompense, de l'eau sucrée, soit une punition, une goutte de quinine. Ainsi, les abeilles étaient récompensées sur un concept (par exemple « au-dessus de ») et punies sur l'autre (« à côté de »). Les images variaient constamment tout en maintenant les relations « au-dessus de » et « à côté de » ainsi que leurs associations respectives à la récompense et la punition. Au bout d'une trentaine d'essais les abeilles reconnaissaient sans faute la relation qui les guiderait vers l'eau sucrée.

L'un des tests consistait à placer ces mêmes abeilles devant de nouvelles images. Le seul point commun avec les figures de l'entraînement était leur disposition : « l'une au-dessus de l'autre » et « l'une à côté de l'autre ». Les abeilles, bien que n'ayant jamais vu ces nouvelles images, ont choisi correctement la cible en fonction de cette relation d'ordre abstrait.
Mais ce n'est pas tout : lors de l'entraînement, les images au milieu desquelles se trouvait la récompense étaient toujours différentes entre elles (comme sur la photo ci-dessous). Pour savoir si les abeilles avaient aussi appris cette relation de différence, les chercheurs ont confronté les abeilles à des stimuli nouveaux où les images constituantes respectaient la relation récompensée (par exemple « l'une au-dessus de l'autre ») mais qui étaient soit différentes, soit identiques. Les abeilles ont ignoré les stimuli faits d'images identiques, montrant qu'en plus des concepts « au-dessus / au-dessous » et « à côté », elles manipulaient simultanément le concept de « différence » pour prendre leur décision. 

Cette étude remet en question l'idée que des cerveaux mammifères (dont le nôtre), plus importants en taille, sont nécessaires à l'élaboration d'un savoir conceptuel. Elle démontre aussi que la formation de concepts est possible en l'absence de langage. D'un point de vue philosophique, elle apporte de nouveaux éléments à la discussion sur ce qui serait propre à l'homme. A l'heure actuelle, l'équipe de Martin Giurfa s'attèle à l'identification des réseaux neuronaux responsables de cette conceptualisation.

Abeilles - Giurfa
© A. Avarguès-Weber, CRCA
Abeille entrainée à choisir des stimuli en fonction des relations « au-dessus / dessous de » et « différence ». L'abeille choisit des stimuli composés de figures jamais vues auparavant dans le cas où ces images satisfont les deux concepts simultanément : l'une est au-dessus de l'autre et toutes deux sont différentes l'une de l'autre.



Notes :

(1) Ici, le terme « concept » est employé dans le cadre des sciences cognitives et il détermine une relation abstraite liant des objets indépendamment de leur nature physique (par exemple, les concepts « au-dessus de / à côté de / différent de… »).
(2) en collaboration avec Adrian Dyer, de l'Université de Melbourne (Australie)

Références :

Simultaneous mastering of two abstract concepts by the miniature brain of bees, Aurore Avarguès-Weber, Adrian G. Dyer, Maud Combe et Martin Giurfa - Proceedings of the National Academy of Sciences, publié en ligne le 19 avril 2012